Défi n° 5

 

Peut-être avez vous lu que la Mairie de Varsovie, en Pologne, avait invité les habitants de la ville à écrire aux arbres de leur grand parc. Et toute lettre aura une réponse !
Cela nous a donné envie de vous proposer comme nouveau défi de :
Choisir un arbre de notre parc, un grand imposant ou un moyen ou un petit discret... et de lui donner la parole : que pourrait-il nous raconter ?  
Début du texte : Me connais-tu ?
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Me connais-tu ?
J'ai bien peur que non
Ça fait des années que tu habites là
Tu ne me regardes pas, c'est con
Pourtant, je suis juste en face de ton balcon
L'été dernier
J'ai bien vu que tu t’inquiétais pour mon voisin
On a eu chaud, très chaud
D'ailleurs le pauvre
Il est à moitié grillé
Ben moi, j'ai résisté
Parce que je viens du sud
Hé oui, Madame
Je suis un Fraxinus ornus
Comme ça t'auras appris un truc aujourd’hui
Un orne ou Frêne à fleurs
T'as vu toutes ces belles fleurs blanches
Que j'ai fabriquées avec mes petites branches
"Une beauté remarquable au printemps"
C'est marqué dans Wikipedia
Permets moi de me la péter un peu
Bon, je ne sais pas ce qui ce passe en ce moment
Je te vois plus souvent sur ton balcon
Tu t'enracines?
J’espère que ça va durer
Parce j'aime quand tu m'admires
Parfois tu as un verre à la main
J'aimerais bien trinquer avec toi
Parce que depuis un mois
Pas une goutte de pluie
Et là
J'ai la gueule de bois.

-

Nicole C.


Me connais-tu, toi ?

Arbrisseau, jeune roi

Ce sentier est à moi

 

Rejeton dit-on

Petit mélèz’ abandonné

Mon père m’a oublié

 

Grêle, frêle, hérissé

Le soleil enchant’ mon cœur

La nuit berce mes peurs

 

Lésé, émigré

Discret, maigr’, affamé

Me guign’la maladie

 

Mélèz millénair’

Uni aux désespérés,

L’auror’point’audacieus’ !

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Colette B. 


Me connais-tu seulement
le parc traversant
à grandes enjambées
sans même me regarder?
 
Pas le majestueux
des hôtes de ces lieux
paré à la Noël
de boules virtuelles
 
Pas non plus de ceux-ci
ces merveilleux fleuris
ou qui perdent en sourdine
leurs cônes, leurs épines
 
Pas au bord d'une allée
qui voient déambuler
avec ou sans leur chien 
les coureurs du matin
 
Je suis ce petit bosquet
dans un coin retiré
de ces branches accueillant
bien des petits enfants
 
Mes racines en pleine terre
vers la sève nourricière
je nettoie l'atmosphère
en renouvelant l'air
 
Faire partie du décor 
dont la faune et la flore
la planète protège
est un vrai privilège !
--
Marie-Claude B

Me connais-tu ? Toi qui passais sans me voir !
As-tu remarqué que je suis remarquable ?
Établi noblement sur ce beau territoire
J’en suis évidemment l’un des notables.
Trois décennies qu’avec mes pairs
J’orne ce qui est un bel arboretum.
Toi qui passe, pense, Ô l’homme !
À ce que tu veux en faire.
Merci de vos soins, jardiniers, jardinières,
Continuez avec toute votre science
À nous entretenir, moi et mes confrères
Qu’auprès de vous j’assure notre présence.
La prochaine fois que le parc tu traverses
Pose les yeux ailleurs que sur tes pieds
Admire-nous qu’il fasse beau ou averse
Tu verras que tu seras remercié.
-
Mimo

 


Me connais-tu ? Je n’en suis pas bien sûr. Je te vois dévaler de ta grande tour, chaussé de tes baskets dernier cri, me mettant en échec dans ma petitesse à ne savoir rivaliser avec le grand chêne ou les conifères. Tu cherches à braver les grandes cimes, et loin de moi de vouloir t’en dissuader. Seulement, me connais-tu vraiment ?

Là se pose à toi une grande question sous couvert de petite interrogation. Je suis un souffle de vie vois-tu. Je suis tout nouveau ici. Et je ne suis que trop frêle présence pour le moment, je brille surtout par mon absence, je ne suis qu’un arbuste naissant.  

Je ne suis qu’un pion pour toi qui habites dans la tour. Mais sache que je suis un cavalier dans l’âme, bien que je me montre très discret, un tronc hésitant, quelques timides branches. Je suis loin d’être encore productif mais quand ce sera ma saison, je serai bien plus attrayant. Peut-être même te presseras-tu pour cueillir mes fruits savoureux et alors je me sentirai fier et honoré.

Je ne suis qu’un minuscule arbre fruitier, quand je deviendrai grand, je te serai bien plus familier. On m’a miraculeusement planté ici afin que j’apporte ma petite touche de verger. Mais il me semble qu’à vivre tout là-haut dans cette tour, tu ne perçois plus très bien ce qui se trouve à tes pieds. 

Puisses-tu bien comprendre que j’ai une conscience si je n’ai pas beaucoup de branches. La sève qui circule en moi n’est que pleine énergie vitale. Et je ne demande qu’à t’offrir bien des instants bucoliques pour l’avenir. Apprends à déceler dans mon arborescence bien des bribes de connaissance. Nous partageons ce monde, toi et tes criantes baskets, et moi, modeste pommier nain et mes précieuses racines n’exprimant comme dessein que de te ravir en t’insufflant la vie.

-

Virginie


Me connais-tu ?

Je suis un arbuste qui pousse le long d’un mur au bord de la place de la Commune.

J’ai quelques frères à côté de moi qui m’aident à me sentir plus fort.

On dit que rien ne me fait peur, ni la pluie, ni le vent, ni les maladies.

Je suis tenace et resplendissant : surtout dans la période qui vient de se passer.

Je t’ai vue t’émerveiller dès le début de ma floraison, lumineuse !

Chaque fois que tu passais, tu me regardais et je t’entendais dire : «  ça y est le printemps arrive ! »

Sais-tu que j’ai crains que tu ne me regardes plus quand le confinement est arrivé ?

J’ai eu peur que mon éclat s’éteigne sans que personne n’ait vu ma floraison...

Je guettais ton passage : tu ne passais plus le matin, plus le midi… 

Et quel plaisir quand je t’ai vue passer une fois l’après-midi puis une autre fois !

Et chaque fois, tu avais un regard vers moi.

Tu as ainsi pu voir comme le jaune étincelant de ma floraison  égaye le paysage !

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Christine


Me connais-tu ?
Moi je te connais petit humain, coquin
Qui joue à cache cache autour moi.
En jouant, sans le savoir, tu me fais des câlins
Et j'aime bien ça.
Je te connais aussi future maman au ventre rond
Qui cherche mon ombre pour te rafraichir et te reposer.
Viens, appuie-toi contre mon tronc
Je vais te servir de dossier.
Et toi l'amoureux qui espère, qui attend,
Elle arrive, ne sois pas impatient !
Et quand elle sera là , je le sais déjà,
J'aurai une nouvelle cicatrice en forme de cœur.
Ne t'inquiète pas, l'amoureux, cette blessure là n'est pas douloureuse. 

Je vous connais tous, vous qui vous promenez dans ce parc.
Certains sans me regarder,
D'autres ne cessant de m'admirer.
Je vous vois de toute ma hauteur,
Et j'essaie de ne pas regarder les fumées, les déchets,
Les mégots et les canettes que vous laissez à mes pieds.


Moi, je suis fier de vous aider à respirer,
D'agrémenter et d'enjoliver votre cadre de vie,
De servir de perchoir aux moineaux, corbeaux ou pies
D'être là avec vous et pour vous...
Mais parfois le soir, quand vous êtes tous dans vos foyers,
Je me sens un peu seul.
Alors je rêve que moi aussi,
Je rentre chez moi, dans ma forêt.

-

Mirabelle 


Tortueux mais gracieux

Me connais-tu ?

 

Tortueux mais pas torturé

Il s’avance d’un pas lent mais sûr

Comme la tortue

Sur les chemins de traverse

 

Il tente vainement de tendre

Ses longs bras maigres vers le ciel

Mais le ciel n’en veut pas

Tortueux tu es, tortueux tu resteras

 

Recroquevillé sur lui-même il est songeur

Sous les doux rayons d’un soleil printanier

Lui à l’automne de sa vie

Qui a dit qu’il ne passerait pas l’hiver ?

 

Maladroitement il tente de se redresser

Mobilisant ses dernières forces

Il implore le ciel

Encore quelques jours

 

Accueillir le volettement

Du couple de mésanges

Écouter leur chant radieux dans le silence

De ce jour sans bruit

 

Goûter le parfum de quelques gouttes de rosée

Perlant sur ses doigts menus

S’étire de tout son long pour entendre craquer

Les os vivants de son squelette

 

Et jusqu’au dernier jour vivre

Chaque jour chaque heure

Tortueux… mais gracieux

Cet arbre abandonné des Dieux.

-

Ernest B. Dauzat


Me connais-tu ? Je n'en suis pas sûr. Moi, je pensais te connaître, depuis le temps. Et j'ai pourtant bien l'impression aujourd'hui d'avoir découvert chez toi des pans de ta personnalité que j'ignorais. 
Pendant des années, je ne t'ai guère vue. Tu penses que j'invente ? Rappelle-toi, les premières années. Tu traversais le parc parfois en hâte, en direction du Centre Social, sans dévier. Tu prenais au plus court. Tu regardais devant toi, ni longuement à gauche, ni longuement à droite, tout au plus ton regard était-il distrait quelques instants par la floraison d'un de mes collègues, au début du printemps. Je me demandais quelles pensées t'habitaient. 
Pendant quelques mois je t'ai vu pousser un landau, toujours dans le même sens, sur le chemin du retour chez toi. Tu ne t'arrêtais pas - il faut dire que c'était l'hiver. 
J'ai bien dû attendre que ton rejeton ait dix-huit mois, au printemps suivant, pour qu'enfin je puisse te contempler tout à mon aise. Je ne te voyais jamais le week-end. Je suppose que tu ne restais pas dans le quartier. 
Les années d'école maternelle puis primaire ont été celles où tu as passé le plus de temps à mes côtés. Mais le plus souvent c'était un voisin ou ton conjoint qui prenait place sur le banc, pendant que les enfants jouaient à mon pied. Tu ignorais que j'avais une telle mémoire ? Et pourtant... elle n'est pas exceptionnelle. Nous autres, les arbres, nous stockons nos souvenirs au plus profond de nous, de manière indélébile. On t'avait dit, je suppose, qu'on peut savoir notre âge en comptant les cercles concentriques de notre tronc. Eh bien notre mémoire est conservée là, comme dans un microsillon. 
Où en étais-je ? Au bout de quinze ans à t'observer, mon avis était fait. L'esprit toujours occupé par mille pensées que je ne connaîtrai jamais. Pas une contemplative, c'est sûr. Mais une certaine sensibilité pour nous, les arbres. Comme je t'ai aimée le jour où tu as bondi sur un gamin qui déchirait de frêles rameaux sur l'un de mes jeunes collègues ! Comme j'ai été jaloux la première fois que je t'ai observée caresser les pousses printanières d'un mélèze ! Et cette discussion, que j'ai surprise un jour entre toi et Bernard : il y a plus de 60 espèces d'arbres différentes, dans le parc, il faudrait recréer un arboretum ! Ce serait une nouvelle vie, si on s'arrêtait devant moi et devant mes collègues pour nous contempler. 
Un jour, tu m'as regardé, des larmes plein les yeux. La neige était tombée, lourde, fin octobre, sur nos branches encore chargées de sève. J'avais perdu ma cime. Tu m'as montré à des amis, tu leur as dit mon nom. Tu me connaissais donc un peu. Pendant plusieurs années, tu t'es arrêtée pour me saluer. Cela m'a aidé à cicatriser. 
Puis tout a basculé, le 23 mars de cette année. Tu es venue tous les jours courir autour du parc. Tu as pris le temps de parler avec des personnes que tu connaissais pas, en regardant ta montre, l'air soucieux. J'ai senti que les bancs te tentaient. Et je ne t'ai plus revue. Qu'es-tu devenue ? 
-
Magali